« “Les menteurs. Les gloutons du restaurant. Les gens qui te méprisent. Les indifférents. Les types trop pressés pour me dire bonjour. Hennebaut, jamais un regard quand il te serre la main, et la main si molle, si humide qu’on dirait un poisson tiède.” Victor, levé avec retard, commença par avaler un café brûlant, puis ajouta à voix basse sur son magnétophone : “Les bavards. Les bavards impitoyables du téléphone, qui t’écrasent avec leur conversation : Lacombe, Tissier, Plumien Xavier… Je sais quelles dépenses ils ont faites pour leurs femmes, et je connais l’itinéraire de leurs voyages à l’étranger, les études de leurs enfants, la voiture qu’ils n’auront pas les moyens de se payer cette année. Les ambitieux. Les loups-garous. Les pointilleux qui te surveillent. Et moi je les laisse contrôler, je me laisse faire. Les grandes bouches. Les fanfarons de merde. Les fouteurs de merde, les paresseux, les jaloux. Ceux qui se moquent de tout. Les types arrogants. Les types toujours froids, les vampires. Les types comme moi.” » En deux cent neuf paragraphes classés par ordre décroissant, un homme sans histoire, lisse et secret, voit son existence partir à la dérive. Le monde de Victor vacille, fiction et réalité s’enchevêtrent, l’étrangeté aux autres et à soi-même se fait chaque jour plus étouffante. Jusqu’à ce qu’il n’y ait plus qu’un seul geste possible.