
Ce « roman inédit et complet » de Proust, paru en 1921, suscita l’ire de Gallimard.
De retour d’une soirée imprévue chez la princesse de Guermantes, où son ami Swann, « israélite mondain », lui apprend qu’il a changé d’avis au sujet de la culpabilité de Dreyfus, le narrateur attend chez lui Albertine, à qui il a donné rendez-vous. Ils finissent la soirée ensemble, mais sa jalousie naissante se transforme peu à peu en « cruelle méfiance », depuis qu’une remarque du docteur Cottard l’a mis en alerte : était-il bien innocent qu’Albertine et Andrée, « au comble de la jouissance », valsent « serrées l’une contre l’autre » au casino d’Incarville, sous les yeux mêmes du narrateur ? Rongé par le doute, le désir et la peur de perdre Albertine, celui-ci entreprend de l’espionner – et d’espionner son propre cœur troublé par le soupçon du saphisme…
Ces linéaments vous rappellent quelque chose ? Quoi de plus normal : ce sont ceux d’un épisode de Sodome et Gomorrhe II, qui paraîtra chez Gallimard en 1922, année de la mort de Proust, avec quelques variantes.
Mais celui-ci les avait d’abord fait paraître dans le mensuel Les Œuvres libres, en novembre 1921. L’éditeur de la revue, Arthème Fayard, avait souligné dans une brève préface « l’extraordinaire force d’analyse » et l‘« impitoyable perspicacité » de Proust, qui s’indigna trop peu de l’appellation « roman inédit et complet » au goût de la NRF. Juste fureur de Jean Paulhan, d’autant plus que ces pages étaient parmi les plus crues écrites par Proust, celles où apparaissent le baron de Charlus et le marquis de Saint-Loup. Celles, aussi, où Marcel Proust invente un nouveau genre : l’autofiction.
Cette curiosité proustienne est ici suivie de La Fin de la jalousie, nouvelle écrite en 1896 et aujourd’hui considérée comme annonciatrice de ce thème qui traverse À la recherche du temps perdu.